C'est toujours une faute de peindre une pierre. On la prive du grain qui lui est propre et de sa manière à
elle d'accrocher la lumière. On la prive aussi de sa couleur, jamais unie, composée de mille nuances réparties diversement dans sa masse
et dans ses surfaces.
Si vous demandez à quelqu'un de quelle couleur sont les rochers de
Fontainebleau ou cette même pierre à l'état travaillé, il y a fort à
parier qu'on vous répondra " gris ". Et pourtant...A Fontainebleau -
les amoureux de la forêt le savent bien - le grès offre une infinité
de teintes qui va du blanc pur au pourpre vineux en passant par
toutes les nuances de gris, de mauve, de jaune , d'ocre et de
vermillon. Non pas les couleurs tape-à-l'œil des produits
manufacturés, mais de ces couleurs douces des fresques anciennes sur
les enduits à la chaux. Ainsi la moindre cour pavée est-elle une
mosaïque , pour peu qu'elle ait conservé sa pose jointive d'origine
avec ses dessins et ses fils d'eau, la moindre place publique, à
plus forte raison une esplanade (Fontainebleau n'en a gardé aucune)
est une œuvre d'art que la main de l'homme a puisé dans la nature.
L'Allée des Roches roses (rose pour carmin), la route des Fosses
rouges , la rue du Roussillon perpétuent le souvenir des anciennes
carrières du Mont Ussy, du Mont Pierreux et du Mont Chauvet. Ces
collines qui entourent la vallée dans laquelle la ville a pris
naissance ont fourni Paris et toutes les villes et les villages en
aval de la Seine, jusqu'au port de Honfleur qui conserve
soigneusement son pavé de Fontainebleau.
Construite dans ce matériau, dur au point qu'on ne peut le scier
mais seulement l'éclater au burin, excellent si on ne l'enferme pas
dans les résines et enduits imperméables qui sévissent sur le
marché, la ville l'expose avec art dans les porches, appuis de
fenêtre et autres appareils de ses nombreux hôtels particuliers.
Quant au château, c'est un hommage rendu par nos rois à la noble
roche d'où émane la puissance et la présence de la forêt mythique
qui leur a fait choisir ce lieu de résidence.
A l'heure où la Place d'Armes revit, avec ses maisons nouvellement
restaurées, et où l'Hôtel de la Prévôté arbore fièrement ses libages
de grès rendus à leur fraîcheur première, l'architecte en charge du
château badigeonne l'imposant portail du Quartier Henri IV et tous
ses bossages de grès, le réduisant au pastiche de lui-même.
Et pendant ce temps, en ville , se poursuit l'hémorragie des pavés à
la faveur des travaux de voirie.
La perte d'un patrimoine est toujours un spectacle affligeant pour
ceux qui l'apprécient, mais elle est particulièrement amère
lorsqu'elle est due à la seule incurie de ceux auxquels il est
confié. Les pays dépourvus de pierre font des merveilles en torchis
ou en pisé avec de beaux enduits colorés , agrémentés ou pas d'une
modénature blanche. Le mortier obtenu avec notre sablon orangé n'a
rien à leur envier, mais lorsque le grès est travaillé pour être
apparent, et à plus forte raison en bossage, il faut le respecter.
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