Recommandée avec AR
Fontainebleau, le 1er septembre 2007
Madame Albanel
Ministre de la Culture et de la Communication
Cabinet du Ministre
3, rue de Valois
75001 Paris
Objet : Château de Fontainebleau - Quartier Henri IV
Madame le Ministre,
Le Quartier Henri IV du château de Fontainebleau est en cours de
transformation pour accueillir le futur Centre européen de Musique
de Chambre. Lorsque, au printemps dernier, les échafaudages qui
cachaient la façade Place d'Armes ont été enlevés, nous avons
découvert avec stupéfaction un Quartier Henri IV réduit à l'état de
pastiche de lui-même par un badigeon jaune.
Nous avons alors exprimé notre réprobation auprès de la Commission
supérieure des Monuments historiques, puis auprès du Ministre, avec
une argumentation que nous nous permettons de renouveler aujourd'hui
auprès de vous pour expliquer ce que ce traitement a de choquant
pour l'homme de métier, pour l'esthète, pour l'historien, et pour le
Bellifontain de cœur.
En effet, que les "tapisseries" aient été badigeonnées de jaune pour
imiter l'enduit d'origine à base de sablon naturellement orangé,
cela se conçoit. Mais étendre ce badigeon à l'imposant appareil en
bossage du portail (bancs de pierre compris),aux chaînages et aux
appuis des ouvertures, voilà qui nous paraît indigne du caractère
noble et original de cette architecture majeure.
Qu'un tel choix ait pu être fait nous amène une nouvelle fois au
constat navrant de la méconnaissance du grès de Fontainebleau,
matériau remarquable et original auquel on préfère les calcaires qui
se travaillent plus facilement et permettent d'obtenir des surfaces
lisses et durablement claires jugées plus séduisantes. C'est
pourquoi nous joignons à notre lettre un "Eloge du Grès" qui nous a
paru nécessaire pour encourager à la conservation de cette richesse
vernaculaire qui se fait rare.
L'architecture du château de Fontainebleau fait une place importante
au grès de Fontainebleau dont la rudesse et la richesse de teinte
ont inspiré les architectes. Parmi tous les appareils de grès dont
le château et la ville sont riches, le portail du Quartier Henri IV
constitue, avec le Baptistère, un sommet et un hommage rendu par nos
rois au grès local, élément mythique arraché à la forêt environnante
que la Renaissance a sacralisé dans les Atlantes de la Grotte des
Pins. Et c'est bien pour en tirer les plus beaux effets que François
Ier fit venir les Italiens, maîtres dans la taille de cette pierre.
En choisissant le rude matériau local pour les éléments structurants
ou chargés de symbole, et en traitant ces parties en bossage sur le
pavillon central, l'architecte a accentué l'impression de puissance
et de pérennité, sans renoncer à la poétique harmonie des teintes et
des matières puisque la brique et le moellon enduit ont également
leur place dans la composition. Réduire l'ensemble à l'état de
pastiche par un badigeon uniforme est par conséquent un non-sens. Il
est vrai que les parties en brique ou en calcaire, même très
mineures, échappent à la disgrâce du badigeon, réservée au grès.
Des traces de chaux, en admettant qu'elles soient réelles, ne sont
pas une raison suffisante. Comment l'architecte du Grand Portail, né
d'une famille de carriers locaux et ennobli par Henri IV, aurait-il
souhaité voir dénaturer de la sorte une roche dont il connaissait
les remarquables qualités esthétiques et techniques pour l'avoir
travaillée?
Toute pierre n'est-elle pas pour l'architecte le matériau noble
qu'aucun badigeon ne saurait valoriser ? Ceci s'applique
particulièrement à Fontainebleau où la liaison, la parenté, la
dépendance entre forêt et palais est constitutive d'un site unique
au monde chanté par George Sand, Marcel Proust, Anatole France,
André Billy et toute l'Ecole de Barbizon.
Quant à la référence récurrente à l'antiquité grecque ou égyptienne,
ou à l'architecture religieuse du Moyen-âge français, elle nous
paraît tout à fait hors de propos. Le palais de Fontainebleau est un
bâtiment civil et le Quartier Henri IV date comme son nom l'indique
du 17ème siècle. Il n'y a donc pas à chercher dans une démarche
d'une autre époque aspirant à élever vers le Seigneur l'offrande la
plus riche que les artistes du temps pouvaient concevoir faute de
pouvoir construire des cathédrales en pierres précieuses, la
justification d'un badigeon qui n'a rien d'un enrichissement
spirituel ni esthétique.
Nous comprendrions que, pour des raisons esthétiques ou de
conservation, il soit décidé d'éliminer la patine du temps, composée
de dépôts divers et de lichens, par un procédé approprié. Pourquoi
le grès ne bénéficierait-il pas du nettoyage qui a redonné vie à de
nombreux monuments construits dans des pierres beaucoup plus
fragiles, et qui s'est avéré probant sur l'immeuble de la Prévôté,
Place d'Armes précisément ?
Cette suggestion appelle cependant une réserve pour la Grotte des
Pins sur laquelle le temps a quasiment achevé l'œuvre de l'artiste.
Dans un premier temps, nous avons tempéré notre jugement à la pensée
que le dommage n'était pas irréversible. Ceci n'est pas certain, car
les colorants chimiques utilisés de nos jours pour teinter les
enduits mordent la pierre, et il n'est pas dit que l'on réussisse,
lorsque, comme nous l'espérons, cette fantaisie sera passée, à
restituer à la pierre son aspect d'origine. Si cette redoutable
pratique devait s'étendre à d'autres parties particulièrement
emblématiques du château comme la Grotte des Pins, le Baptistère, la
Cour Ovale ou la Cour des Adieux, véritable enseigne de la ville et
du palais, le préjudice serait alors immense.
Pour prévenir une telle perspective, nous vous demandons instamment
que soit mis fin à cette pratique qui semble bien être la
manifestation d'une conviction personnelle dont l'application ne
laisse pas d'étonner sur un bien national d'une telle importance.
Dans cet espoir, nous vous prions de recevoir, Madame le Ministre,
l'expression de notre respectueuse considération.
La Secrétaire générale
Jacqueline NIZART
Pièces jointes : -Photographies, gravures
-Eloge du grès
e-mail : jacqueline.nizart@wanadoo.fr
Tél : 01 64 24 89 88
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